DISCOURS DU PRESIDENT – HOMMAGE A ORADOUR-SUR-GLANE
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Article N°18049

DISCOURS DU PRESIDENT – HOMMAGE A ORADOUR-SUR-GLANE

Oradour-sur-Glane  – Samedi 10 juin 2017

Monsieur le maire d’Oradour-sur-Glane,
Mesdames et messieurs les élus,
Monsieur le président de l’Association nationale des familles des martyrs,
Messieurs les préfets,
Mesdames et messieurs les ambassadeurs,
Cher monsieur Robert HEBRAS,
Chers habitants d’Oradour-sur-Glane,

 

Mesdames, messieurs et vous jeunes filles, jeunes gens, enfants qui – pour prendre part à cette cérémonie au côté de vos camarades des établissements d’Oradour et de Limoges – êtes venus de Lyon, de Rion, de Gannat, de Pionsat, de Besserette, de Neuvéglise, de Murat, de Villiers-le-Bel, de Sarcelles, de Mulhouse, de Herrlisheim, de Paris,
 
Vos aînés ne m’en voudront pas, j’en suis sûr, si avant tout c’est à vous que je m’adresse aujourd’hui. Inévitablement le temps passe, les survivants du drame peu à peu se font rares.
 
Je salue avec respect et affection monsieur Robert HEBRAS, il est l’ultime survivant d’Oradour. Il a avec vous parcouru il y a quelques instants ce village, il a décrit des visages, des scènes par sa parole encore vivante.
 
Après le massacre, il s’engagea dans la Résistance où il fit preuve d’un immense courage. Et toute sa vie, il a gardé fidèlement la mémoire du 10 juin où il perdit sa mère et ses deux sœurs. Quel exemple vous êtes pour nous.
 
Je salue aussi les familles des victimes qui conservent gravé dans le cœur cette journée tragique. Mais les générations passent, aujourd’hui les derniers résistants déportés du Camp des Milles, Louis MONGUILAN nous a quittés, et chaque jour il en est ainsi.
 
Les générations passent, les présidents plus encore même si en ce jour je me souviens des fortes paroles de François MITTERRAND prononçant l’éloge de l’espoir, de Jacques CHIRAC appelant de ses vœux un siècle de l’éthique, de François HOLLANDE prônant la vérité et la réconciliation en présence du président allemand.
 
Voyez ces ruines qui sont derrière vous, déjà la pluie et le soleil après tant de décennies ont effacé les traces noires de l’incendie dévastateur. L’herbe du Limousin a repoussé dans ce sanctuaire, l’impact des balles tirées ce jour-là sur les hommes, les femmes, les enfants s’est poli sur ces murs et se confond avec l’érosion de la pierre.
 
Il en va de même la mémoire, elle aussi forcément s’érode.
 
Ce qui se transmet risque de s’affadir, sans cesse nous devons raviver la flamme et lui redonner sens. C’est pourquoi j’ai voulu que vous soyez présents ici, présents au côté des enfants d’Oradour et de Limoges, vous, centaines d’enfants des écoles de France, pour que la mémoire soit transmise dans sa substance par la vision des ruines, des tombes, des noms.
 
Je sais que cette journée restera pour vous un moment singulier, parce que vous aurez vu ces lieux de vos yeux, parce que vous aurez serré la main du dernier rescapé. C’est ainsi que se perpétue le fil de l’histoire. J’ai voulu que vous deveniez vous aussi des témoins.
 
Etre témoin c’est d’abord honorer la mémoire des victimes. Nous sommes ici pour pleurer les morts. Ils reposent derrière moi. Certains ont retrouvé leur caveau de famille, bien d’autres sont ensevelis dans l’anonymat du tombeau des martyrs. Cendres mêlées aux cendres, comme le jour de leur mort atroce, corps mêlés aux corps, mère enlaçant son enfant, père enlaçant son fils.
 
Au Centre de la mémoire tout à l’heure, nous verrons le visage et le nom des suppliciés, patiemment retrouvés par les historiens et les archivistes. Ce visage c’est le nôtre. Nous leur offrirons l’hommage et le souvenir de toute la nation.
 
Ce soir, revenus dans vos familles, vous raconterez cette journée, vous évoquerez les visages qui auront retenu votre attention. Et plusieurs années après, vous vous souviendrez de ces visages comme on se souvient de ses contemporains, et vous les ferez revivre.
 
Quelques noms de ceux qui se sont tus pour toujours le 10 juin 1944 résonneront par votre bouche, dans des endroits de France où jamais ils n'avaient été prononcés. Par vous, ils vivront.
 
Ce soir vous serez des témoins et vous serez devenus à votre tour des passeurs. Mais vous serez bien plus encore, car Oradour n'est pas seulement un drame de la guerre, ce n’est pas seulement une épouvantable tragédie. Oradour est un scandale, un scandale absolu.
 
Oradour est un village français, vous venez de le rappeler monsieur le maire, un village du passé et un village d'avenir. Et ce 10 juin 1944, c'est un village comme les autres, ni plus ni moins brave qu'un autre. Il avait ses amitiés et ses querelles, ses soucis et ses bonheurs. On subissait l'occupation en tentant d'éviter les exactions nazies. On recueillait des enfants, on  protégeait des clandestins, on cachait des juifs.
 
Beaucoup ici avaient perdu pendant la Grande Guerre de 14-18 un père ou un fils. La guerre était pour ces générations une malédiction tenace mais la vie continuait. Le plus jeune enfant mort à Oradour avait 8 jours, on attendait le retour de la paix, on ne savait encore rien des charniers de l'Est et de l'horreur indicible des camps d'extermination.
 
Oradour, ce 10 juin 1944, c'était la France. La journée avait commencé comme celle d’aujourd’hui. Le temps d'abord couvert s'était levé.
 
Il fait chaud et lourd. Des dizaines d'enfants sont réunis au village pour la visite médicale. Les commerces sont ouverts, on y fait ses courses. C’est jour de distribution de tabac. On sait que les Alliés ont débarqué en Normandie, ce sera peut-être l'été de la Libération. Nul ne pressant alors l'orage d'acier et de feu qui va déferler, nul ne se doute que le soir même, ce village paisible et presque gai ne sera plus qu'un champ de ruines, calciné, envahi par l'odeur des cadavres.
 
190 hommes fusillés et brûlés dans les granges.
245 femmes réunies dans l'église, mitraillées, brûlées vives.
207 enfants accompagnant leur mère, leur grand-mère mitraillés, brûlés vifs.
 
Monsieur le maire, vous venez de le rappeler, 642 martyrs, un village entier assassiné.
 
Leurs cris d'épouvante et de douleur s'entendirent à plusieurs kilomètres à la ronde.
 
Parce que c'était Oradour-sur-Glane, parce que ce furent ces femmes et ces enfants, parce que ce furent ces vieillards et ces hommes dans la force de l'âge, parce que le supplice fut si sauvage, si radical, si ignoble, c’est la France ce jour-là qui fut frappée au cœur.
 
Le massacre d'Oradour c'est le triomphe de l'arbitraire, c'est la cruauté sans partage, c'est la pitié oubliée, c'est la piété bafouée. Oradour c'est la sauvagerie brutale, c'est l'appétit effréné du sang et de la mort.
 
Si le récit de ce massacre et la vue de ces ruines nous donnent encore aujourd’hui une indicible nausée, c'est parce que nous savons intimement, au creux de nos tripes, au cœur de notre conscience que ce qui se produisit ce jour-là est exactement ce que la France, l’Histoire de France, les héros de la France ont toujours voulu combattre.
 
Le martyre d'Oradour concentre tous ce qui nous révulse, tout ce qui nous révolte. Il attente à des hommes, à des femmes, à des enfants mais il attente aussi à la conscience française. C’est tout ce contre quoi nous avons bâti nos valeurs, notre culture, notre civilisation.
 
Notre conscience ici s'insurge parce qu'a été piétiné ce qui nous construit en profondeur, le respect de la vie humaine. Nous ne serions pas le peuple que nous sommes si nous ne donnions à l'autre un statut sacré. C'est parce que nous lui conférons cette dignité suprême que nous sommes soucieux collectivement de protéger, éduquer, soigner, secourir, défendre, aider l’autre.
 
La France est ce pays où depuis des siècles, nous faisons de la vie de l'autre un sanctuaire : droit, justice, dignité sont le cœur de notre effort commun. Cet effort parfois échoue. L’Histoire en déjoue les intentions. Alors nous essayons encore. Nous y travaillons sans relâche.
 
Ce jour du 10 juin 1944, c'est tout ce que nous haïssons qui s’est abattu sur le village d’Oradour. La vie humaine fut comptée pour rien, l'innocence fut assassinée, la souffrance des victimes fit le plaisir des bourreaux. La mort devint un jeu, le néant un but.
 
« Plus jamais ça », ont crié des générations de survivants aux guerres atroces du XXème siècle ; « Plus jamais ça », ont crié les familles d'Oradour, de Tulle, de Maillé, d’Ussel et de tant d’autres lieux de supplices ; « Plus jamais ça » ont clamé les rares rescapés des camps de la mort.
 
Mais nous savons bien que tout recommence et que tout peut recommencer. Et ce sera votre responsabilité à vous jeunes gens de toujours y veiller, parce que jamais vous n'oublierez, parce que nous savons bien en effet qu'à nos portes cela continue. Nous aimerions pouvoir dire que désormais cela se passe loin de chez nous ou que cela n’advient plus, mais le Rwanda ou la Yougoslavie hier, la Syrie aujourd'hui ne sont qu’à quelques heures d'avion.
 
Et parfois c'est chez nous, au sein de nos populations et de nos territoires, que ressurgit la bestialité infâme, celle-là même qui dévasta Oradour. Les ruines d’Oradour ne font hélas pas rempart contre cette barbarie qui toujours couve ; et pas davantage le visage des enfants suppliciés, martyrisés. Non, le seul rempart contre la folie meurtrière qui couve dans le cœur  des hommes, c'est notre conscience et c'est notre exigence de chaque instant. C'est ce fil qui nous relie à chacun, à notre histoire, à notre humanité.
 
Nous venons ici la retremper à sa source. Ici notre conscience se fortifie parce qu'ici elle voit, elle sait, elle touche ce contre quoi elle se dresse. Ici, nous faisons provision d’indignation.
 
Je vous ai dit que ce soir vous seriez davantage que des témoins : j'aimerais que vous soyez devenus des consciences. Puisse cette journée vous rappeler sans cesse que la paix, le respect, la tolérance, l’humanité ne sont jamais acquis. Ce sont des gains fragiles sur la violence et le néant. Vous en êtes les dépositaires, prenez en soin.
 
Le monde est instable, il est dangereux. Il l’était en 1944 et il l’est encore aujourd'hui. La barbarie, dès qu'elle le peut, se reforme et son visage ne change pas. Il est toujours celui de la sauvagerie, se dissimulant derrière un idéal dévoyé, brandissant des étendards noirs et se ruant vers la mort et la destruction sans jamais en être rassasiée. Car le monde toujours éprouve notre conscience ; elle est notre seul recours. Rendons-la forte, rendons-la vigilante, rendons-la intransigeante.
 
Ne supportons pas que soit attaqué ou repris un seul des espaces conquis par nos luttes communes. N'acceptons pas que les fruits de nos victoires qui s'appellent République, démocratie, droit de l’homme et du citoyen, qui s’appellent liberté, égalité, fraternité soient menacés ou contestés par les apôtres du néant, fanatiques en tous genres, extrémistes de toutes figures.
 
Tous ceux qui pour défendre une cause nient l'humanité de l’autre sont dans l’erreur, car nous sommes tous enracinés dans notre humanité. Il n'est pas de cause qui vaille si elle oublie cela.
 
Il est des mots aujourd'hui en France dont certains moquent l’innocence un peu naïve : humanisme, tolérance, bienveillance, espérance, revendiquez-les, défendez-les, faites-en vos drapeaux contre les drapeaux noirs et le relativisme corrosif dont notre monde souffre tant.
 
Tout ne se vaut pas. La parole d'un rescapé d'Oradour pèse plus qu'une autre. C'est cela être une conscience et c'est cela ce à quoi aussi, notre école doit veiller. Et je sais monsieur le ministre de l’Education nationale que comme moi, vous avez cela à cœur.
 
Se souvenir ce n'est pas seulement se rendre dans des lieux de pèlerinage indiqués par les professeurs ou les guides touristiques. C'est vouloir comprendre pourquoi nous sommes là. C’est saisir ce qui nous lie et qui nous unit. C’est revivre ce que nous avons affronté, surmonté, vaincu pour être ce que nous sommes : une nation.
 
C'est aussi percevoir le sens qu'il y a à poursuivre cet immense projet, cette merveilleuse ambition qu'on appelle la France. Oui, le monde est complexe, comprenez-le, soyez à la hauteur de ce qu'il exige de vous et soyez exigeants avec lui. Ouvrez-vous à lui, n’en ayez pas peur. Apprenez à l’aimer mais aussi à le changer. C'est à cela que sert l'éducation. Elle arme votre conscience contre les tentations mauvaises, la passivité morale et fait de vous des citoyens qui sauront opposer à tous les Oradour le goût inépuisable de la vie et de l’avenir.
 
Ici, on dirait que le cri des martyrs ne s'est jamais tu. Ecoutez. Passant devant les décombres, on croit voir encore se dessiner leurs silhouettes égarées. Regardez. Et pourtant, grâce à la fidélité des familles d'Oradour un miracle s'est produit. Sur les maisons, les noms des morts ont fleuri. Des livres sont écrits qui racontent la vie humble et douce du village. Sur le visage photographié des victimes on aperçoit un sourire, on lit une insouciance. La vie à la fin l'emporte.
 
Les bourreaux ne sont plus. Ils n'ont même plus de nom. La honte et l’oubli les ont recouverts et les Français ont adopté les martyrs d’Oradour. Ils les ont accueillis dans cette grande famille qu'est notre mémoire nationale. Ils y vivent désormais respectés, honorés, aimés. Ici se sont noués tant de drames, des mémoires des familles et des martyrs jusqu'aux mémoires des malgré-nous, à toutes celles et ceux qui ont tressé ce drame français et ce drame européen, nous devons penser.
 
Le scandale d'Oradour comme d'autres balafres sur le visage de la France cimente notre peuple, parce qu'il démontre que nous savons – malgré l’horreur, malgré la barbarie, malgré les fautes, celles des autres mais les nôtres aussi – tenir ensemble debout, capables d'unité et capables aussi de pardon.
 
Les familles d'Oradour furent longues à pardonner comme le furent toutes les familles de suppliciés. La soif de réconciliation ne saurait être le premier mouvement des victimes. Il faut d'abord que justice soit faite, nous avons appris cela, parfois par l'échec. La justice progresse aussi par la mobilisation des consciences, elle est à hauteur d’homme ; et lorsqu’elle est rendue, la paix peut revenir.
 
Alors surgissent les bonnes volontés qu'anime un farouche désir de vérité, de justice et enfin de concorde. C'est cela la République, car nous avons fait ici concorde. Et ce sont ces mêmes fractures, ces mêmes balafres qui ont fait notre histoire européenne. Merci monsieur l'ambassadeur, Madame la députée d'être là parmi nous, merci à vous depuis tant d’années d’avoir ici travaillé avec courage pour que l'Europe se renoue,  parce que ceux qui avaient vécu ces drames avaient chevillé au corps la morsure du nationalisme et des divisions et ce à quoi elle conduit.
 
Et ils se sont attelés à réconcilier les mémoires européennes, à retresser ses liens et à faire que la France et l'Allemagne ici aussi se réconcilient.
 
Jeunes filles, jeunes gens, les enfants, ce soir dans vos familles vous rapporterez le souvenir de ce martyre et ses enseignements. Vous ne serez plus les même. Mais vous rapporterez aussi, je l'espère, le goût et l'énergie d'édifier sur ses ruines encore chaudes un monde meilleur, de défendre, dans ce monde qui vacille, qui parfois doute, qui aujourd'hui encore trébuche, cette histoire dans laquelle se trouve notre destin, de défendre nos libertés toujours, les droits pour lesquels nos aïeux se sont battus et sont tombés, de défendre la sève de la République française et du rêve européen.
 
Car en oubliant, en décidant de ne plus nous souvenir ou de ne plus nous battre, nous prendrions ce risque, immensément coupables de répéter l'histoire. Je n’ai pour ma part qu’une seule tâche, une seule mission, de toutes mes forces vous aider à y parvenir. Vous en rendre capables.
 
Vive la République.
 
Vive la France.

Discours du Président de la République Emmanuel Macron

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